Esotrod : le savoir-faire du métal, du feu et de l’électricité

Une jungle étroite avait pris ses quartiers tant bien que mal au creux de la vallée, flanquée par deux montagnes rocailleuses de part et d’autre. Elle débordait de végétaux luxuriants colorés et rampants qui concurrençaient facilement la hauteur de plusieurs immeubles et dont la cime disparaissait sous une épaisse couche de brouillard laiteux. Pas un mouvement ne venait trahir la présence d’âmes dans cet oppressant spectacle, figé par la chaleur et l’humidité.

Un craquement sinistre se fit soudain entendre, dont l’écho se répercuta sur les montagnes alentours. Une nuée d’oiseaux s’éleva de l’amas vaporeux dans un bruissement d’ailes désordonné. A l’endroit précis où ils s’étaient tenus l’instant auparavant, plusieurs troncs plièrent et s’abattirent sur le sol avec grand fracas. Quelque chose au dessous, ou quelqu’un, semblait se tailler un passage grossier dans la forêt, pris de panique, comme une bête sauvage aveuglée par la douleur.

La chose, immense, semblait être un amas de métal et d’électricité, une sphère mécanique lancée à pleine allure. On pouvait entendre les grincements plaintifs de ses jointures à chaque rocher ou tronc qu’elle rencontrait, immédiatement pulvérisé par sa masse. Derrière la chose, la végétation carbonisée et dévastée laissait un trou béant. Elle continua ainsi un moment, de plus en plus difficilement, de moins en moins vite, jusqu’à que se présente un nouvel obstacle, infranchissable cette fois. La coque métallique avait atteint l’extrêmité d’un plateau à pic, se dérobant quelques mètres plus loin. Elle ne pourrait pas traverser.

Esotrod s’arrêta alors. De sa carapace apparurent une tête et des membres, qui se déplièrent avec difficulté. Le géant était blessé. De larges déchirures s’observaient sur sa coque, par où se déversait un feu électrique ardent. Il perdait de grandes quantités d’énergie et son poursuivant n’était plus très loin, il le savait. Un sifflement retentit. Une légère vibration de l’air alerta Esotrod, un reflet dans le feuillage… Il roula sur le côté pour éviter les éclats tranchants qui fondaient droit sur lui. Certains cristaux se fichèrent dans la terre dans un tintement aigu, mais d’autres atteignirent leur cible. Esotrod poussa un grognement lorsqu’il se plantèrent en déchirant sa protection comme un couteau dans le papier le plus vulgaire.

Lorsque la pluie meurtrière cessa, quelques secondes s’écoulèrent dans le silence le plus total, avant que les cristaux épars ne commencent à trembler, comme attirés par une force invisible au centre du plateau. La poussière au sol se souleva en provoquant des tourbillons. Les éclats s’élevèrent dans les airs et tournoyèrent au même rythme, reconstituant progressivement un organisme vivant. Esotrod assista, impuissant, à la matérialisation du colosse de verre Orbital.

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***

Une légère brise souleva le voile pendu à la fenêtre. Une poussière fine s’engouffra par l’ouverture et vint virevolter dans un rai de lumière tombant. Une gerbe de fleurs fraîchement coupées avait été déposée sur une table basse rudimentaire, attenante au lit. Quelqu’un devait régulièrement s’occuper de cette chambre. Un enfant gisait sur l’édredon. Malingre, il avait le visage pâle et les traits tirés. Ses joues autrefois rebondies étaient désormais crevassées. Un médaillon de fer dans lequel on avait inscrit un symbole au rouge reposait sur sa poitrine, qui se soulevait à intervalles réguliers.

Un homme le veillait. Il semblait en proie à une grande nervosité, se balançant en avant et en arrière sur sa chaise. Ses yeux jonglaient sans cesse entre le visage et la main de l’enfant et il marmonnait un flux continu de paroles. “…il ne fallait t’interposer, non, non, ce n’était pas bien, il ne fallait pas, mais tu as le coeur grand, et gros, et bon, et cela te faisait mal, oh oui, tu souffrais de voir comment il nous traitait, mais ce n’était pas bien, non, non, tu aurais dû le laisser prendre ce qu’il voulait…”

***

Esotrod et le colosse de verre s’étaient engagés dans un dernier combat. La clameur de leur lutte acharnée résonnait avec force dans la jungle. L’air était chargé d’électricité, plus lourd que jamais. Les deux concurrents respiraient difficilement, tous deux mis à mal par l’humidité. Esotrod se releva et rassembla ce qui lui restait d’énergie, ferme sur ses jambes de métal. La masse de feu et d’électricité qui le parcourait devînt instable et dangereuse. Il avait sur le corps d’étranges plaques gravées de symboles qui se mirent à rougeoyer violemment. Tout à coup, ces plastrons s’éjectèrent et révélèrent de puissantes tenailles accrochées à des chaînes qui s’envolèrent en direction de la créature de cristal. Elles se refermèrent sur leur proie et l’enserrèrent d’une prise solide. Orbital tenta de se débattre, ses cristaux tournoyant autour du géant et le cinglant au passage, mais Esotrod n’en démordit pas et ramena lentement ses chaînes à lui. Ses jambes ne tiendraient plus très longtemps. Elles menaçaient de crouler à tout moment sous le poids de ce dernier effort.

Les éclats en vol s’arrêtèrent alors, figés dans l’espace. Orbital avait cessé de se débattre. Il explosa d’un seul coup, éparpillant ses cristaux aux quatre coins du lieu où ils se tenaient, et les tenailles d’Esotrod se refermèrent dans le vide. La tête de verre de son adversaire atterrit non loin…

A cet instant, Esotrod sentit ses forces l’abandonner. Il ressenti une telle douleur, que ses tenailles tombèrent mollement au sol. Il se sentait lourd, incapable de porter son poids. Il avait l’impression de se tenir à l’étroit, que chaque pièce de son corps allait exploser sous la pression. Le géant s’affaissa et ne se releva plus. La carcasse métallique émit une dernière plainte caverneuse et la lueur de sa gangue de feu pâlit. Esotrod tenta de ramener ses chaînes à lui, mais elles se contentèrent de trembler faiblement. Sans énergie pour les animer, elles étaient inutiles. Sa lueur s’éteignit complètement.

***

Dans la chambre, les yeux du petit garçon s’ouvrirent tout à coup et se révulsèrent. L’homme à côté de lui se leva d’un bond et se pencha au-dessus de la tête de l’enfant. Tout près de lui, ses paroles redoublèrent d’intensité. “…oh, tu n’aurais pas dû, non, tu as voulu nous protéger et voilà ce qu’il a fait de toi, oh mon garçon, te réveilleras-tu un jour, mais c’est ma faute, oui, ma faute, ma pauvre jambe, je ne pouvais pas, j’aurais du empêcher qu’il ne s’en prenne à toi, j’aurais dû, je n’ai pas pu l’empêcher, oh mon garçon, pardon, je n’ai pas pû…”

***

Alors que le brouillard resserrait son étreinte sur Esotrod et Orbital inanimés, le sol se mit à trembler de nouveau. Un tourbillon de poussière rugit bientôt et vînt se lover autour d’eux. La terre se craquela, menaçant de s’affaisser à tout instant. Et tout à coup, elle s’ouvrit en deux, les engloutissant dans les profondeurs.

***

La complainte de l’homme s’était amplifiée. Il criait presque à présent. La porte de la chambre s’ouvrit alors et une vieille femme entra. Son regard se posa un instant sur l’enfant avant qu’elle ne se dirige vers l’homme. Elle posa une main sur son dos :

esotrod_blog“Viens, Theo. Quelque soient les monstres que ton fils rencontre dans son sommeil, tu ne peux rien faire pour l’aider. Tu le connais. Même dans les Royaumes Effondrés, il continuera de protéger les compagnons de route qu’il trouvera, comme il l’a fait pour nous. Mais il n’est pas seul. Le savoir-faire de notre famille l’accompagne. Qui sait la forme qu’il a, là-bas… Il nous reviendra, Theo, il sortira de son coma. Ne perds pas espoir.”

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