Aether : l’esprit tourmenteur et les Cinq Chaînons

Aether ouvrit les yeux. Il était l’heure. Aujourd’hui faisait deux ans, jour pour jour, que le quatrième compagnon des Cinq Chaînons était parti faire le grand saut. Il n’était pas revenu. C’était son tour. Elle se leva de la couche austère où elle avait passé la nuit et marcha, pieds nus sur les dalles de pierre, pour rejoindre la salle du départ. La poussière se soulevait à chacun de ses pas. Elle entendit un bruit d’aile affolé au loin, sous la voûte de la cathédrale incendiée où ils avaient établi leurs quartiers, des années auparavant. Le jour filtrait à travers les vitraux brisés tandis qu’elle enjambait les débris des colonnades qui jonchaient la nef.

Aether portait encore les marques de son engagement dans la société savante. Sa longue chevelure blanche témoignait des épreuves qu’elle avait enduré pour s’en montrer digne. Ses mains brûlées par l’acide qu’on y avait versé, restaient un souvenir cuisant qui venait renforcer sa détermination. Elle ne leur avait pas donné le nom de ses compagnons. Elle pouvait marcher la tête haute.

Parvenue à sa destination, elle s’empara de longues manches posées négligemment sur la porte de bois entrouverte. Elle les enfila et les fixa à sa robe en entrant dans la pièce. Ses cicatrices ainsi recouvertes, elle ajusta de même des épaulières de plate, auparavant fixées au mur. Elle se plaça en face d’une grande table en métal dans laquelle on avait gravé un réseau nervuré d’arabesques, illuminées par un mélange bleuté mi-gazeux, mi-liquide. Les embranchements qui y étaient dessinés convergeaient vers un objet placé au centre. L’artefact, qui semblait être la source de l’étrange substance, était de la même matière que la table et présentait quatre ouvertures rondes aménagées sur chacune de ses quatre faces.

Aether plaça précautionneusement sa main gauche au-dessus du tétraèdre. Aussitôt, les volutes bleutées se rétractèrent violemment au sein de l’instrument, qui s’éleva de la table en s’agitant dangereusement. L’objet libéra d’un coup une lumière blafarde aveuglante qui envahit toute la pièce. L’effet de souffle ouvrit grand les yeux d’Aether, qui se colorèrent d’un blanc laiteux sans pupilles… Quand elle put les refermer, elle prit une longue inspiration et sentit sa main droite vibrer au même rythme que son tétraèdre. Elle la regarda du coin de l’oeil : un fluide d’un bleu électrique émanait à présent de sa paume, relié à l’objet qu’elle maintenant toujours en lévitation de la main gauche.

Un faible sourire vint éclairer son visage. Elle était prête pour le voyage. Aether se retourna. La pièce dans laquelle elle se trouvait contenait quatre autre tables de même acabit, disposées en cercle. Trois d’entre elles étaient éteintes, une place vide pour leur artefact en leur centre. La quatrième avait été brisée comme frappée par la foudre et des morceaux de métal calcinés jonchaient le sol.

Aether était Maître de la Servitude au sein des Cinq Chaînons. Elle serait la prochaine à rejoindre le monde des Royaumes Effondrés. Elle suivrait leur trace et prendrait sa revanche sur ceux qui avaient détruit sa société.

Elle se plaça au centre de la pièce, sur une dalle ronde légèrement surélevée et un puissant mécanisme se mit en branle, faisant trembler les vieux murs déjà bien malmenés. Un bruit assourdissant envahit l’espace. La magie d’Aether se mit à tournoyer autour d’elle depuis sa paume jusqu’au tétraèdre, formant une puissante ogive protectrice. Le flux se sépara en quatre autres branches, qui plongèrent au sol et rejoignirent les tables, pour inonder toutes leurs ramifications. Aether esquissa une grimace de douleur.

Elle punirait les âmes faibles, incapables de lui adresser une résistance. Elle vengerait la mort d’Ethran et trouverait le moyen d’emprisonner en son tétraèdre, toute la sapience des Royaumes Effondrés. Pour que les Cinq Chaînons, de nouveau, s’unissent, et toute leur gloire, soit restaurée.

Quand les murs cessèrent de trembler et que le calme fut revenu, Aether avait disparu. Et quelque part, dans une immensité perdue, huit mercenaires venaient d’apparaître dans leurs bases.